Du 17 au 28 juin 2020, le Cerfav a accueilli l’artiste allemande Jenny Trinks pour une résidence qui va se poursuivre cet automne. L’occasion d’en savoir plus sur elle, son parcours, ses résidences passées et le projet qu’elle mène au Cerfav avec la technique du vitrigraphe.
Fanny Guenzi (Cerfav) : Peintre de formation, tu as déjà une démarche artistique avec le matériau verre. Te définirais-tu comme artiste verrière ou artiste plasticienne ?
Jenny Trinks : Je me définis plutôt comme artiste plasticienne, voire peintre. Le résultat de ce que je fais reste assez plat, dans le sens où l’oeuvre servira pour les murs, les sols, voire les plafonds.
Quel est ton parcours ?
J’ai fait les Beaux-Arts à l’Université d’art et de design Burg Giebichenstein Halle, en Allemagne. Il y avait un atelier dédié au verre mais je n’ai malheureusement pas eu la chance d’y travailler.
J’ai découvert le matériau et la technique du fusing dans un atelier verrier bien équipé mis à ma disposition à la manufacture Schott. Lorsqu’ils me donnaient des plaques de verre, j’avais le droit de faire ce que je voulais. J’ai eu beaucoup de chance.
Ensuite, j’ai commencé à travailler avec d’autres matériaux, comme le papier.
Aujourd’hui, je suis vraiment focalisée sur le papier et le verre. J’aimerais également refaire de la peinture car le fait de mélanger les couleurs me manque.
Finalement, Schott était le lieu de ta première résidence sans en être une officiellement. Elle t’a permis de découvrir les techniques liées au verre plat. Tu y es restée longtemps ?
La première fois que je suis allée chez Schott, c’était pour seulement deux semaines. J’ai eu l’occasion d’y retourner trois ou quatre fois. C’est un atelier qui n’existe malheureusement plus maintenant.
Par la suite, en 2014, j’ai candidaté pour faire une résidence d’artiste au Corning Museum of Glass, aux Etats-Unis et j’ai été acceptée.
Quel projet as-tu développé lors de ta résidence au Corning ?
J : J’ai eu l’opportunité de travailler sur un autre verre avec des couleurs très vives, contrairement à chez Schott où le verre était transparent. C’était une expérience très intéressante pour moi qui aime mélanger les couleurs : c’était comme de la peinture. J’y suis restée 1 mois, et j’ai découvert les démonstrations de soufflage notamment très américaines, très impressionnantes.
F : As-tu pu pratiquer d’autres techniques que le fusing?
J’ai pu découvrir plein d’autres techniques verrières très intéressantes, notamment au Corning. On a souvent envie d’essayer, mais cela peut être dangereux. Je préfère me concentrer sur une seule technique afin de me perfectionner.
Quelles sont les autres résidences que tu as faites?
Après Corning, je suis allée au Glasmalerei Peters en Allemagne. C’était une expérience différente de ce que j’ai eu l’habitude de vivre auparavant, car je n’ai pas touché le verre. J’ai uniquement conçu l’oeuvre que les verriers ont réalisée pour moi. Il s’agissait d’un puzzle en verre réalisé avec la technique de la sérigraphie.
Lors de ta résidence d’artiste au Cerfav, tu vas travailler la technique du vitrigraphe, plutôt méconnue en France. En quoi consiste-t-elle et comment l’as-tu découverte ?
J’ai été nominée pour le Glass Prize, concours organisé par la Warm Glass UK. Le prix était un stage d’une semaine à Portland, au Bullseye Ressource Center, pour découvrir la technique du vitrigraphe auprès d’un artiste américain qui l’utilisait lui pour faire des bols.
J’ai alors appris cette technique, qui consiste à remplir un pot avec des morceaux de verre et ensuite de tirer des baguettes.
Pourquoi cette technique est-elle intéressante dans ta démarche?
Avec la chaleur, le verre n’est pas parfait. Il y a des coupures, des traces, parfois c’est cassé. Mais il faut vraiment être tout près pour le voir. En général, le verre représente la perfection, mais ce n’est pas ma finalité. Je recherche les nuances dans les couleurs que je choisis. Ce sont les couleurs qui me guident et la technique du vitrigraphe est très intéressante par rapport à cela.
Tu as choisis ces nuances-là bien particulièrement ?
Oui, je choisis les nuances. Ensuite je fais la composition à même le sol car les plaques sont assez grandes. Pour le moment, je ne travaille que sur la première ligne.
Le résultat va faire 60cm de hauteur et entre 1m20 et 1m40 de largeur.
Tu vas revenir en novembre ? Et il y a une autre phase en 2020 ?
Normalement oui, j’ai prévu de revenir fin novembre. L’idée est de continuer sur mon projet et réaliser les fusions au Cerfav.
Finalement, tu as le four, les plaques mais tu n’as pas le four de fusion, c’est ça ?
Venir au Cerfav est finalement l’occasion de pouvoir utiliser mon four, que j’ai acheté après ma résidence aux Etats-Unis. En effet, après ma résidence aux Etats-Unis, je n’ai pas eu l’occasion de l’utiliser car j’étais beaucoup plus centrée sur le travail du papier.
Pourquoi avoir choisi le Cerfav comme lieu de résidence ?
Après avoir exploré plusieurs grandes villes très loin de chez moi, j’ai voulu me poser et partir pas très loin de chez moi. Le Cerfav était alors l’occasion unique de pouvoir réaliser ma résidence en France.
Dans un centre où il y a d’autres ateliers, même si on a vu que tu résistais à la tentation et que tu étais vraiment focalisée sur le verre plat, avoir l’appui technique des enseignants te rassure ?
Si j’ai une question par rapport au four ou sur la fusion il y aura toujours quelqu’un pour me guider et m’épauler. Même sur la technique du vitrigraphe. J’ai appris cette technique d’une manière très précise, mais je suis sûre qu’il y en a d’autres que je ne connais pas.
Est-ce qu’il va y avoir un échange avec les élèves du Cerfav pendant ta résidence ?
Je suis à côté de l’atelier vitrail, donc j’ai déjà eu l’occasion d’échanger avec eux. Je trouve ça fascinant d’échanger sur leur technique et de les regarder faire. Même si c’est quelque chose que je ne ferai pas professionnellement, je prends beaucoup de plaisir à regarder comment le verre peut être travaillé sous diverses formes.
Je suis habituée à ma technique, c’est devenu quelque chose de tellement automatique ! La partie où je produis ma matière n’est pas la plus intéressante, mais après, lors de la confection, cela devient plus intéressant.
Lors de ta résidence, tu vas également travailler avec un groupe de collégiens de Colombey-les-Belles. En quoi va constituer cette collaboration ?
J’ai déjà eu l’occasion de discuter avec l’enseignante d’arts plastiques du collège. Nous allons fixer un jour en automne, pour que je fasse une démonstration aux élèves avec le four. Ensuite je vais montrer ma technique du vitrigraphe. Au mieux, j’aimerais montrer l’oeuvre finie.
Ensuite, nous allons travailler avec les pots en terre dans lesquels le verre a fusionné. Les élèves auront l’immense plaisir de les casser. Avec les morceaux, ils pourront faire un assemblage.
Nous allons échanger autour du thème de l’imperfection, des traces. Tous les enfants, et même les adultes, pensent que quelque chose qui n’est pas “parfait” n’a pas d’utilité. Et justement, je veux prouver le contraire, je pense qu’on peut toujours en faire quelque chose. Je veux surtout faire comprendre que les imperfections ne sont pas importantes sur la perception.
Je vais aussi montrer ma source d’inspiration : les murs, les surfaces, les choses en pierre. Je veux prouver que je peux redonner vie à toutes les surfaces avec le verre et voir les choses autrement.
Merci Jenny, à bientôt pour la suite de ton projet !
→ suivez Jenny Trinks sur Instagram