Après l’artiste Alëxone, c’est au tour du souffleur de verre Antoine Brodin de faire une résidence d’artiste au Cerfav. Son oeuvre finale, qui mêlera verre & pierre, sera présentée au Musée des Beaux-Arts de Nancy dans le parcours permanent de l’exposition anniversaire du Cerfav, du 26 mars au 18 septembre 2022.
Nous l’avons interviewé lors de son arrivée à Vannes-le-Châtel.
Présentation de l’artiste verrier Antoine Brodin, artiste en résidence au Cerfav
Peux-tu te présenter rapidement ?
Je m’appelle Antoine Brodin, j’ai 41 ans et je suis souffleur de verre, artiste et vice-versa. Je travaille le verre soufflé depuis plus de quinze ans et j’entame un travail autour de la dualité…
Quelles sont tes influences les plus significatives ? Où puises-tu ton inspiration ?
J’ai grandi avec Jules Verne et les Machines de l’île, à Nantes, alors forcément j’ai longtemps puisé dans cette culture. Je n’ai pas d’univers de référence particulier mais j’aime les « peuples premiers », l’océan, la cuisine, la vigne, le bonsaï, Les Furtifs, un roman d’Alain Damasio…
Te souviens-tu d’une exposition ou d’une œuvre qui t’a particulièrement marqué ?
Il y a deux expositions qui m’ont marqué ; une au japon de l’artiste Motohiko Odani (artiste-sculpteur contemporain japonais), et une exposition à Aix-en-Provence, des toiles monumentales de Fabienne Verdier (artiste-peintre française). Toutes les deux sont d’une puissante vitalité.
Artiste verrier, citoyen du monde
Dans ta biographie, tu te présentes comme quelqu’un de révolté, cela se reflète-t-il dans tes créations ?
Hahaha, il faut que je change cette bio ! C’est vrai qu’il y avait une forme de colère et de rage envers à peu près tout. Cette révolte dont je parlais, c’est le sentiment d’injustice vissé aux chevilles de la vingtaine. Aujourd’hui, je l’ai transformée en indignation, mais cela n’a jamais été un sujet ou un prétexte de travail.
Ah, ça s’est peut-être un peu apaisé ?
Disons que ça prend une autre forme… C’est un peu ce que je veux explorer avec « Coïncidence des opposés » (projet de résidence), sortir de ce côté rebelle, de ces crânes, pour maturer et affiner un peu ce côté là, cette évolution dans la révolte. Il y a quelque chose de plus profond et d’intéressant dans le « et » d’une dualité que dans son « ou ».
Te considères-tu donc comme un artisan engagé ?
C’est une question délicate ! Si être engagé, c’est être un artiste avec un regard très politisé et/ou sociétal, qui va interroger nos modes de consommation, nos dirigeants, le climat ou des pratiques particulières, alors non je ne suis pas un artiste engagé. Je ne suis rattaché à aucun organisme ou association hormis celle de Francis Hallé pour son projet de forêt primaire.
Par contre, engagé comme « citoyen du monde », pour employer un terme un peu trop à la mode en ce moment, je fais en sorte de l’être, oui.
C’est difficile de faire la part des choses entre les thèmes qui nous nourrissent, qui nous bousculent et qu’on interroge et ce qu’on a envie d’exprimer autour de nos questions plus personnelles, plus conflictuelles.
Un jeu avec les échelles et avec la pierre
Tes œuvres deviennent de plus en plus monumentales, est-ce délibéré ?
Oui et non. J’aime bien jouer avec les échelles. Pour citer Olivier Weber (guidant au Cerfav ) : « La sculpture fonctionne sur deux échelles : à l’échelle de la main et à l’échelle du monumental ». C’est une vision un peu limitante pour la sculpture, mais j’aime l’idée qui sous-tend ce propos. Il doit y avoir un rapport d’échelle juste pour que cela soit impactant. Cependant, ma volonté n’est pas toujours d’être dans le monumental. Pour la série que je développe en résidence au Cefav, j’ai commencé par une échelle bonsaï, comme des suiseki, ces pierres de méditation asiatiques posées sur des socles en bois sculptés. Puis il y a l’échelle d’un petit jardin, d’une petite sculpture. Enfin, il y a l’échelle de la carrière, du bloc tout droit sorti des entrailles de la terre. Eh bien, j’adore le résultat, l’émotion que suscite chacune de ces échelles.
Songes-tu à changer de médium ? Ou à faire des associations de matériaux ? Pourquoi la pierre ?
La question pourrait se poser effectivement, mais j’aime trop travailler le verre à chaud pour l’abandonner complètement. Mais je m’aperçois que mon atelier se remplit de plein d’autres matières…
Pour la pierre ? Je suis en Ardèche, entouré par les pierres. J’aime beaucoup le minéral, qui rejoint le verre d’ailleurs, étant constitué de sable.
Pour moi, c’est une évolution logique ; la pierre va jouer le rôle symbolique de contrainte extérieure.
Cela rejoint aussi le concept de dualité que je souhaite explorer. Cette confrontation me plaît, c’est quelque chose de plus personnel.
Son projet de résidence d’artiste au Cerfav
Tu viens de commencer une résidence au Cerfav pour travailler avec le verre. As-tu déjà une petite idée de ce que tu souhaites faire ?
Oui, j’avais déjà une idée en tête avant de commencer cette résidence. Mon petit atelier de soufflage est en fait une sorte de laboratoire, où je mène beaucoup d’essais et de recherches. En venant au Cerfav, j’ai déjà réglé les soucis autour du processus technique, ce qui me permet de passer directement à une échelle plus grande et d’affiner la résolution de problèmes, car il va y en avoir c’est sûr !
Ce changement d’échelle par exemple fait que le choix de la pierre devient vraiment déterminant. J’ai rendez-vous en décembre avec le gérant de la carrière de pierre de Volvic pour pouvoir choisir directement les blocs. Je crois à l’appel de la matière; pourquoi une forme, une matière soudain vous attire ?
« Coïncidence des opposés » est une série sur le souffle, l’énergie vitale et la dualité.
L’humain est vu comme territoire de la dualité et le paysage comme terrain philosophique.
Ce sera une installation à échelle humaine. Cela évoquera l’énergie lente mais inarrêtable des racines qui viennent craqueler le béton de nos routes ; c’est la rencontre de deux forces, entre souplesse et dureté. Je veux intégrer le « et ».
Qu’attends tu de la résidence ? Pourquoi au Cerfav ?
Je connais l’équipe, les bâtiments, les intervenants, donc c’est une facilité. J’y retrouve ainsi mes anciens profs qui connaissent mes petites folies, le fait de souder une structure métallique directement sur le verre, de sabler les pierres sous haute pression etc, on a déjà travaillé ensemble et je sais qu’ils pourront répondre à mes demandes. Je sais aussi que j’aurai un accompagnement qualitatif et un entourage compétent, ça donne envie. Les moyens sont mis à disposition pour que je me sente libre de créer, c’est assez rare !
Retours d’expérience et réflexions art/artisanat d’art
Parmi toutes tes expériences de salon et exposition, y en a-t-il une qui t’a marqué ? Pourquoi ?
Beaucoup ont été traumatisantes ! Hahaha ! Mais l’expérience la plus particulière a été le salon Maison et Objet, en 2018 je crois, quand j’ai exposé « Migration » pour la première fois… Beaucoup d’ego, d’orgueil et je me suis beaucoup dispersé. J’ai commis quelques erreurs et je n’ai pas toujours fait les bons choix, ce qui ne pardonne pas à cette échelle. J’étais en permanence sur un fil, comme pas encore tout à fait à ma place.
Penses-tu rester dans un schéma atelier/salon/exposition ou préfères-tu multiplier les résidences ?
J’ai toujours aimé l’idée du nomadisme, ça fait sept ans que je suis en Ardèche et c’est la première fois que je reste aussi longtemps au même endroit. Donc les résidences étaient tentantes. Mais aujourd’hui, j’ai un atelier qui se remplit d’énormément de projets, une petite fille qui grandit et je me déplace déjà beaucoup, donc ce n’est plus vraiment à l’ordre du jour.
J’aime le fait d’avoir un atelier où travailler, c’est pour ça que la résidence au Cerfav est idéale, ce n’est pas trop loin de chez moi, je peux faire des allers-retours et ne pas être absent trop longtemps. Avant je préférais le nomadisme, maintenant je sens que j’ai besoin d’une routine et d’une discipline de travail, chez moi.
Est ce que tu fais de l’art pour toi ou pour les autres ?
Bonne question !
La création c’est un mélange d’ego, d’orgueil, de syndrome de l’imposteur et de nécessité.
Au départ, j’essaie de faire des pièces qui disent des choses avant tout pour moi, parce que j’en ressens comme l’obligation, j’ai envie d’expérimenter. Je découvre que la création nous demande d’être responsable d’elle. J’aimerais maintenant le partager un peu plus que je ne le fais actuellement.
On dit souvent que l’artisanat est une voie solitaire, qu’en penses-tu ?
La vérité est que beaucoup d’artisans d’art sont entourés d’assistants, d’apprentis car beaucoup de travaux requièrent des équipes. La réalité c’est aussi qu’on est seul face à la matière, il n’y a que les mains entre elle et nous. Au fur et à mesure de la pratique, on se rend compte que c’est l’état émotionnel et les connaissances techniques qui conditionnent la réussite d’un travail.
On est également souvent seul à prendre des décisions artistiques, stratégiques et économiques. Mais il ne faut pas en faire une problématique. La voie solitaire c’est la matière polissant l’artisan avec le temps.
Et après la résidence d’artiste au Cerfav ?
Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets, autres que celui de la résidence au Cerfav ?
C’est déjà difficile pour moi de parler de « Coïncidence des opposés » ! Donc en évoquer d’autres en cours, ce serait dilapider le peu d’énergie qu’ils possèdent.
Interview menée par Zoé Métivier, service civique au pôle culture du Cerfav