Depuis janvier 2019 et jusqu’au 30 juin 2019, le Cerfav accueille son premier artiste en résidence : Jonas Delhaye. Nous avions déjà eu l’occasion de le rencontrer quelques semaines après son arrivée afin de voir avec lui ses attentes et ses premières impressions sur cette nouvelle résidence.
Nous avons fait un point avec lui sur ses impressions et son ressenti après ces trois mois au Cerfav.
Pour (re)découvrir la première interview de Jonas Delhaye, rendez vous ici.
Fanny Guenzi (Cerfav) : Quel est ton ressenti actuel vis-à-vis de ta résidence au Cerfav ? As-tu réussi à t’intégrer au fonctionnement des ateliers ?
Jonas Delhaye : Le rapport aux ateliers s’est bien ouvert. Au moment du premier suivi je commençais tout juste à souffler, à voir comment ça s’organisait. Là, j’ai un peu continué là-dessus car j’ai une piste de projet autour du soufflage. J’ai cherché à travailler dans ce sens-là, ce qui était assez agréable, comme les impressions de la première fois, c’est-à-dire d’avoir accès à la matière. Cela fait du bien, fait comprendre, ouvre des pistes. Du coup j’ai continué et je suis partie sur l’idée des cives. C’est un procédé intéressant sur le développement d’une sphère pour développer un disque.
Cette volonté-là est, à la fois dans le cursus normal du verre et soufflage, mais aussi dûe à un autre mouvement autour du verre. Il y a des étudiants qui, toute l’année, tous les ans travaillent le verre et réfléchissent autour du verre. Il y avait un peu ce côté-là dans ma recherche. Dès que je parlais de quelque chose quelqu’un me disait : « quelqu’un a fait ça il y a deux ans, quelqu’un a fait ça l’année dernière, il y a dix ans ».
Et moi je suis le miroir de cela, étant donné que je n’ai pas la culture du verre. J’essaye de m’initier là-dedans, mais c’est hyper troublant et pas forcément facile pour moi.
Ce mouvement-là m’a fait me dire que peut-être il fallait que je vienne avec ma spécificité, peut-être plus autour de la photographie, et que le verre peut y trouver sa place.
Peut-être qu’il faut que j’amène mon histoire. Ça m’a fait tomber la pression.
F : Et qu’est-ce que ça signifie pour toi ? | Est-ce que tu as des idées pour y parvenir ?
J : J’avais cette idée de photogramme au tout départ qui était plutôt de penser le vitrail comme un négatif photo. C’est-à-dire qu’on puisse l’utiliser avec la projection de la lumière, pour faire des photos. J’ai commencé à faire des tests pour avoir des couleurs en négatif, avec des verres de vitrail. Puis, étant donné qu’en parallèle j’étais en train de faire ces cives à un moment, je me suis dit :
« Ah oui c’est intéressant car sur un morceau de verre de vitrail il y avait une texture qui ressemblait à un astre et cela m’a fait un parallèle avec la cive qui est ce disque circulaire.”
Pour moi il y avait aussi l’idée de cartographie, d’une mappemonde.
Finalement je me suis dit : « Allé je me lance un peu sur des tests comme ça. ». Donc j’ai commencé à faire des cives, de A à Z, en répétant les mêmes gestes. J’avais l’idée à la fois de continuer à apprendre, mais aussi de faire des tests de couleurs, de textures, trouver des manières de faire différentes, comme utiliser de la ballotte, des bulles, de craqueler, essayer avec des tailles différentes pour que ces objets-là deviennent des supports photographiques. Et ce n’est pas si évident.
Au niveau de la transparence, de la couleur, densité, du hasard du verre, en photographie ça amène des temps de pause ou autre totalement différent et c’est très intéressant.
F : Et pour le moment tu en es où dans ces recherches ?
J : Je vais voir, mais je suis toujours en incertitude, au niveau de la couleur, de la transparence, le fait que la photographie soit une lumière projetée. Par exemple, l’année dernière j’étais en résidence au Québec, il y avait une éclipse solaire et ça m’avait amené sur une vision poético-scientifique. Et à un moment donné je me suis demandé si la Lune n’était pas la surface sensible du soleil, vu qu’elle reçoit la lumière, au même titre que le papier photo la reçoit aussi. Et au moment de l’éclipse, il y avait cette ombre projetée. Je me suis dit que finalement il y avait un jeu entre les planètes à la fois d’astres lumineux qui projettent une lumière, mais aussi d’un obturateur qui était celui de la Lune qui donne cette ombre sur la terre.
Je me suis demandé si l’univers tout entier n’était pas un gigantesque appareil photo où la boîte noire entoure tous les astres.
Il n’y a plus ce côté de “on est extérieur à quelque chose”. Cette pensée-là m’a bouleversé parce que je me suis dit qu’on n’était, en réalité, que dans des jeux de relations, de lumières, d’ombres. D’autant plus que dans le verre soufflé il y a cette révolution permanente, qui je pense m’intéresse aussi.
Cette idée que tout est toujours en mouvement, je la retrouve dans la cive, donc j’essaye de pousser là-dedans.
F : Comment définirais-tu ton rapport avec le verre maintenant ?
J : Avant je ne travaillais pas du tout le verre. Maintenant que je suis acteur de la réalisation ça change beaucoup de choses, notamment ce rapport que j’ai avec le verre. J’aime faire des tests.
D’un coup tu vois que le verre se déforme, il s’attire au niveau des couleurs, mais c’est intéressant. Je me dis que si ça n’était pas moi qui faisais ces tests-là, je serais frustré, d’autant que mes cives ne sont pas parfaites.
Finalement elles créent une image, ça parle quand même de quelque chose. Et il y a aussi le fait d’être dans un espace et de découvrir. Donc je suis assez content de ça, je me sens bien dans toutes les étapes de la conception.
Concrètement on est pile dans un miroir. La manière dont je fais la photo, c’est finalement poser un acte et ne pas savoir comment il va se développer. C’est cette idée de l’image secrète qui vient se révéler à un moment, le verre c’est ça. Il y a une part de hasard, notamment lorsqu’on pose les couleurs, sachant que j’essaye aussi de jouer avec ça, à mon petit niveau.
Il n’y a pas longtemps en voulant faire une expérience j’ai cassé des cives. C’était assez terrible car c’était celles que je préférais, qui m’emmenait vers ce projet-là, avec des épaisseurs assez constantes. C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’on était dans cette optique d’objet unique, comme la photo où si ça ne fonctionne pas ou, comme ici, ça casse, je ne peux pas la refaire, tout du moins pas à l’identique et c’est la manière dont j’aborde la photo.
F : Lors du premier suivi de résidence sur le blog les outils numériques ne semblaient pas faire partie de tes intentions premières. As-tu finalement pu tester ces outils, par exemple avec ce que propose le FabLab ?
J : J’ai projeté de faire quelque chose on n’a pas encore réussi avec Paul (ndlr : Fab Manager au Cerfav). J’ai quelque chose qui m’intéresse, c’est l’idée de vitrification des sols suite à des explosions d’astéroïdes, mais aussi des essais nucléaires dans le désert du Nevada, à Yucca Flat. C’est un espace du désert parsemé d’impacts d’essais nucléaires. Je trouvais ça intéressant ces bombes qui avaient vitrifié le sol en créant du verre à partir du sable, suite à l’explosion et aux fortes chaleurs.
Il y avait à la fois ce côté du verre qui apparaissait et qui créait une forme, ce qui est assez lunaire quand on voit le site.
Je voulais faire le parallèle avec de la pâte de verre, mais en essayant de faire comme si c’était un astre, une lune, rendre le terrain circulaire. Finalement ça ne serait pas la Lune, mais ces essais nucléaires, et on ne le saurait pas forcément mise à part par le titre. J’ai envie de jouer un peu sur ce caractère-là.
C’est un peu la différence avec la première interview qu’on a fait, j’essaye de monter un fil conducteur autour de cette question des astres, et finalement les objets peuvent se répondre les uns aux autres.
Pour le numérique, j’ai trouvé des cartes topographiques de ce terrain-là. Ce qui aurait été hyper cool c’est de trouver ce terrain directement en 3D, mais ce n’était pas le cas. Du coup je cherche comment mettre cette carte sur un volume. Je vais aller au FabLab pour essayer de créer un modèle 3D avec leur bras haptique, en dessinant les cratères moi-même, un moule pour ensuite, faire ma pâte de verre.
F : Tu nous parlais du soufflage tout à l’heure. Comment tu te sens avec la pâte de verre ?
J : Je n’en ai fait qu’une fois et c’était une chose que j’avais du mal à aborder. Je n’ai pas forcément ce rapport sculptural dans mon travail. Parfois mes choix de matériaux n’ont pas vraiment de sens. Je peux me fermer des champs aussi, mais c’est vrai que j’aime bien trouver ce rapport car il y aura une transparence avec quelque chose.
Néanmoins, souvent c’est le sens qui m’intéresse. Là le rapport au sol vitrifié commençait à me donner envie à toucher à la pâte de verre parce que je pense que ça s’y prête bien.
Avec la pâte de verre on peut faire des choses très précises, mais aussi très objet, figées.
J’ai tendance à avoir ce côté “je mets en place, je laisse faire, je laisse défaire”, et mise à part cette capacité de coulage dans le four, de l’orientation des couleurs, la forme reste vraiment un travail de sculpture. Ce n’est pas forcément là où j’ai des facilités. Quand je regarde tout l’ensemble de mon travail, des sculptures il y en a très peu, si ce n’est au tout départ, lorsque je faisais des sculptures en cire.
F : Tu as pu tester d’autres techniques ? Le vitrail peut-être ?
J : Concernant le vitrail j’ai très envie d’essayer. J’ai fait des tests pour faire un vitrail en caméra obscura c’est-à-dire un vitrail avec deux panneaux. L’un serait un système de lentille convergente qui apporte de la lumière, des taches de couleurs. Le deuxième panneau serait plutôt en verre dépolis, thermoformé. C’est ici que je réfléchis.
Du coup, je suis allé voir les scientifiques pour voir ce qui serait le mieux. J’ai fait des tests de thermoformage et au final ça n’a pas trop marché. J’ai aussi fait à chaud des sphères pleines que j’ai coupé en lentilles. Là ça marche un peu mieux ! C’est assez compliqué, surtout au niveau de la distance focale, mais je pense que je vais essayer de pousser. Dans l’absolu le vitrail m’intéresse, mais ça va être vraiment une question de temps, car tout prend beaucoup de temps.
F : Concernant l’espace qui t’est disponible à l’Atelier | Galerie, tu as réussit à en faire quelque chose ?
J : Pas trop, parce que j’arrivais à un moment où j’avais envie de voir clair. Cet espace là il est hyper ambiguë pour moi. C’est plus un bureau qu’un atelier étant donné qu’il y a la galerie, la boutique. Je me sens pas trop de faire du bruit. Et comme c’est ouvert qu’une heure après les ateliers je peux pas passer des ateliers techniques et à là directement.
Je pense que si j’avais plus de temps pour y accéder peut-être que ça bougerait. Après je pense aussi à tout calfeutrer, d’en faire un labo pour faire des trucs, mais toute la pièce est en verre : vitre, hublots partout… C’est peut-être ça qu’il faut que je fasse.
Pour le moment, ce qui est pas mal c’est que j’ai commencé à accrocher des trucs au mur pour prendre du recul donc ça c’est bien.
C’est pragmatiquement un lieu où je peux mettre les objets en verre une fois qu’ils sont faits, un espace de stockage, mais ça ne veut pas dire que si j’ai des trucs à faire à froid il ne pourra pas servir. C’est vrai que pour l’instant dans les tests photos ou pour le travail à chaud ça reste tout de même ambiguë.
F : En juin, une restitution de ta résidence est prévue au Cerfav, comment anticipes-tu cet événement ? Notamment vis-à-vis de ton rapport nouveau au verre ?
J : J’ai l’impression d’avoir des attentes encore plus importantes que ce que je pensais. J’ai l’impression qu’on ne me donne pas les moyens, et que ça ne me correspond pas. Ce qui me frustre c’est que j’ai une super opportunité, un truc pour faire le verre, une durée longue, mais qui reste courte tout de même. J’espère juste qu’à la fin je n’arriverai pas à une étape ambiguë où je me dis : « J’aurais aimé faire ça, et ça et ça et en fait non. », mais en même temps j’en ai envie. Donc je suis en demi-teinte entre la crainte et l’excitation.