Lucie Roy et Claire Lange toutes deux diplômées en 2013 de la formation Compagnon Verrier Européen, sont parties en stage Erasmus deux mois en Espagne dans l’atelier Luesmavega, à Barcelone.
Pourquoi vous avez choisi d’effectuer votre stage post formation à l’atelier Luesmavega?
Nous cherchions un atelier en Espagne ou en Italie, où la production nous plaisait et où l’on sentait que la recherche était au cœur de la production.
On a fini par trouver le site internet de Luesmavega, et sur les photos des produits, on ne comprenait pas le processus de fabrication : un finition impeccable, une finesse des produits, des formes fluides, légères ; des surfaces texturées de qualité.
L’atelier Luesmavega travaille essentiellement pour des restaurants, leur travail est donc celui de designer culinaire. Ils font des recherches pour concevoir des récipients qui s’harmoniseront avec les plats des grands chefs.
Voici un exemple très réussi de collaboration avec le chef Hideki Matsuhisa pour son restaurant Koy Shunka, Barcelona.
Le fusing et le thermoformage sont des techniques que nous avions utilisées pour nos projets de diplôme, l’une et l’autre : Claire pour ses mues, et Lucie pour ses pansements ; mais avec beaucoup de temps de tâtonnement, et nous avions toutes les deux une sensation d’inachèvement par rapport à ces projets, l’envie de les pousser plus loin avec plus de compétences techniques.
Description d’une journée type de stage
8h-on se lève et on prend notre petit déjeuner ensemble : jus d’orange pressé, thé, tartines de fromage, muesli.
Nous n’avons pas les mêmes horaires, l’une travaille le matin (10h-15h), l’autre l’après-midi (13h-18h), et on alterne chaque semaine.
9h– Pour celle qui travaille du matin, c’est donc, une belle balade à vélo d’une bonne demi-heure où l’on passe devant les Arenes de Barcelone, et d’autres monuments historiques et où il faut faire attention de ne pas écraser les piétons armés de plans et d’appareils photo. On emprunte nos pistes cyclables favorites, découvertes au fil de nos promenades. Les 10 dernières minutes du chemin nous obligent à faire tomber le pull, il s’agit d’une immense côte !
9h40– On entre dans le Poble Espanyol, sorte de zoo des différents styles architecturaux d’Espagne : un village de belles demeures en pierres, mais qui n’est fait que de façades : personne ne vit à l’intérieur. Dans les ruelles pavées, il y a des orangers..et des touristes du monde entier. Le village est ceinturé de murailles, et il faut payer 11euros pour entrer. Nous, on a un badge.
9h45– On passe la porte de l’atelier, c’est-à-dire la porte d’une fausse église.
A l’intérieur, c’est très haut sous plafond, donc. On monte poser nos affaires, on dit bonjour. Concernant les tâches de travail, depuis le début, on change tous les jours de tâches, mais on n’en fait généralement que 1 ou 2 dans la journée. Par exemple :
– laver les pièces qui sortent du four et les sécher avec un soin extrême avant la cuisson suivante ;
– tamiser ou laver de la fritte,
– parachever à la machine à bande les bords des pièces avant enfournement,
– préparer un four, sortir les pièces d’un autre four,
– user avec un pilon et du carburundum le fond d’un moule jusqu’à ce qu’il soit parfaitement plat,
– coller les caches de vinyls (qui sont prédécoupés avec le logo de l’atelier) sur les pièces avant sablage,
– couper des cercles dans des chutes de verre qui serviront à faire de petites assiettes,
– ou emballer les pièces avant envoi des commandes.
Esther et Xavier connaissent les étapes de leur chaîne de production sur le bout des doigts et pour chaque étape (qu’elle paraisse facile ou pas), il y a un protocole à respecter, rien n’est laissé au hasard. Tout est prévu pour que chaque étape soit parfaitement réalisée. Ce protocole à chaque étape permet de mettre toutes les étapes au même degré d’importance, le lavage des pièces est aussi important que la coupe ou le travail à froid.
En dehors de nous, 7 personnes travaillent dans l’atelier : le couple des responsables, Esther et Xavier, et 5 salariés, chacun assigné à un petit nombre de taches, comme un travail à la chaîne.
13h– Si Lucie travaillait le matin, Claire arrive. Sinon, l’inverse. Celle qui arrive se voit attribuer une autre tache. Et puis on travaille chacune dans son coin, quelque fois ensemble.
14h30– On monte dans la petite salle en haut de l’atelier qui est aménagée en cuisine. On se fait chauffer un bon petit plat, et on mange en buvant un thé, souvent avec les autres salariés.
15h– L’une reprend le travail, l’autre a terminé sa journée !
Jusqu’à maintenant, on a passé tout notre temps libre à chercher des apparts. Mais ça y est, on a trouvé notre place dans une colocation, donc on va pouvoir profiter de nos demi-journées de libres pour faire des activités et des projets.
Quelles sont vos relations avec vos responsables de stage, Esther Luesma et Xavier Vega? avec les 5 autres salariés de l’atelier?
Nous avons été bien accueillies, tout le monde est sympathique et ouvert ; et les moments du repas sont conviviaux.
Esther nous montre toujours précisément ce qu’on doit faire, même quand il s’agit de tâches simples comme faire la vaisselle, car dans cet atelier tous les gestes sont étudiés avec soin, pour une qualité optimale des objets en fin de production. Sinon, une fois lancées dans ce que l’on a à faire, elle nous fait confiance. Les salariés nous donnent aussi des conseils, et on discute un peu.
Quand on travaille avec Xavier et Esther, nos tâches sont souvent entrecoupées d’anecdotes, de conseils ou des petites astuces, ce qui rend le stage très intéressant.
Claire : « j’avais peur de la barrière de la langue au sein de l’atelier, mon espagnol est très médiocre, je l’ai étudié au lycée mais l’ai très peu pratiqué. Mais au travail, c’est très facile, j’ai l’impression d’avoir un langage en commun avec eux, celui de la technique. »
Lucie : « Moi j’avais peur de ne rien pouvoir apporter à l’atelier, et finalement je me sens utile, ne serait-ce qu’en faisant des petites taches. »
Quelles sont vos découvertes positives comme négatives à l’atelier?
-> Le fait que tout soit pensé, de la conception à la commercialisation des pièces.
-> Le fusing et le thermoformage sont des techniques fabuleuses, il n y a pas de limite à la création, il faut seulement bien réfléchir à la pièce voulue, en prévoyant plusieurs cuissons ; et exploiter les techniques complémentaires (sablage, parachèvement,etc…)
Beaucoup de pensées pour Angèle Témoin (intervenante au Cerfav en gestion et économie), sur les stratégies de vente notamment. L’atelier a développé des produits ciblés, de « niche » comme elle dit, à savoir la conception de vaisselle pour des grands chefs étoilés du monde entier. Et puis le soin du packaging et l’exposition des pièces à l’entrée de l’atelier, dans une partie « galerie ».
-> Le point négatif : même si les produits sont beaux, bien faits et qu’on apprend beaucoup, le travail répétitif n’est pas épanouissant.
Pensez-vous pouvoir avancer sur un projet personnel pendant votre stage?
On ne pense pas pouvoir développer nos projets à l’atelier, mais comme on a du temps libre, on a envie de continuer à creuser les sujets qui nous intéressent (mues, pansements et bourgeons) à travers d’autres techniques que le verre, en attendant ! Faire des dessins, des photos. Et puis on a le cerveau en action pendant qu’on est à l’atelier, on réfléchit à de nouveaux process pour élaborer nos pièces avec plus de finesse.
Avez-vous fait des rencontres intéressantes professionnellement?
Oui ! Le fablab de Barcelone ! Il est immense, avec des machines qui sont immenses elles aussi. Peut-être une piste pour un prochain stage avec eux. Première rencontre qui nous a fait un peu rêver, tout semble possible et accessible en termes de temps et de budget.
Un bilan en cours de stage ?
Ce stage nous ouvre les yeux sur de nouvelles possibilités de penser nos projets, de nouvelles manières de travailler le fusing et le thermoformage. On apprend aussi ce qu’est un travail minutieux et soigné. Et puis on est entrées dans un type de fonctionnement de travail différent de celui de l’école : celui d’un système de production ; on pèse le pour et le contre, et ça nous aide à penser notre projet professionnel.
Le principal point négatif est le côté répétitif des tâches, le temps passe lentement, et on ne suit jamais la fabrication d’un objet du début à la fin : on intervient ponctuellement dans une chaîne, ce qui est plutôt frustrant.
Où logez-vous, dans quel quartier?
Pour le moment, nous sommes dans un appartement à Gracia, jusqu’à ce qu’on emménage dans notre colocation. Gracia est un quartier à l’ambiance de village, beaucoup de petites places où les gens se retrouvent et organisent des repas et autres. On aime s’y promener, et se mettre en terrasse en fin de journée, ou le dimanche. C’est la zone de la ville qu’on préfère pour l’instant.
Et samedi on emménage dans le quartier du parc Montjuic, un quartier un peu industriel pas très joli mais où les loyers sont abordables et où… nous avons trouvé un appartement avec une énorme terrasse face à la mer!
Qu’avez-vous découvert à Barcelone en dehors de l’atelier?
Claire : « Barcelone est une ville pleine de vie, il y a beaucoup d’associations de quartier, proposant des activités au coût imbattable. Un véritable tourbillon festif et culturel ! Je vais prendre des cours de dessin de modèle vivant et je cherche un atelier de sérigraphie. Et de danse ! Puis le soleil, au mois de février, c’est quand même une grande découverte !! Le souvenir de la doudoune en lorraine est très lointain… »
Lucie : « Nous avons été surprises par le soleil en arrivant, et on a vite abandonné nos manteaux ! Et puis, autre découverte un peu moins drôle: il est très compliqué de trouver une colocation agréable à Barcelone, contrairement aux idées reçues (cf. l’auberge espagnole) »
Une expo, un resto, un concert? racontez nous votre dernière sortie marquante?
Claire : « Ce matin (dimanche), nous sommes tombées sur un bal de lindy up avec une centaine de personnes de tout âge qui dansaient sous le soleil sur la place de l’Eglise. » (photos ci-dessous)
Lucie : « Hier on a fait une expo photo à l’Hospitalet, un quartier en dehors de Barcelone plutôt déshérité…Au milieu d’une immense avenue bordée de garages et de jardins ouvriers, il y a un superbe centre culturel, gratuit. On a même eu une visite guidée en catalan, très agréable, qui nous a permis d’entrer dans le monde du photographe Ferran Freixa. Presque uniquement des tirages argentique de format carré, où l’on voit des lieux souvent vides, ou des objets entourés de silence et d’une grande présence tactile. Et sinon, hier soir, sortie dans une église squattée, dans le quartier où l’on va habiter, où il y a de la musique, un bar et de quoi manger. »
Comment s’annonce la suite du stage?
On pense rester encore un mois car il nous reste des choses à comprendre, notamment concernant la fabrication des moules..Mais ensuite, on pense éventuellement à changer d’atelier, et nos maîtres de stage nous proposent de nous fournir des contacts.
propos recueillis en février 2014
A la suite de ce stage Lucie qui voulait appendre plus de choses sur le moulage, a trouvé un atelier qui travaille uniquement le plâtre, pour la réalisation de moules et de maître-modèles qui servent ensuite à des tirages en série de céramiques, que ce soit pour des designers, des artisans ou des usines. Très impressionnée par la perfection de leur travail, elle effectue un stage de 7 semaines (mai/juin 2014) chez CAMBRAS MODELS, Claudi de José.
Claire effectue également un deuxième stage de 7 semaines (mai/juin 2014), dans un atelier de vitrail cette fois pour se perfectionner en peinture sur verre : chez Grau Montserrat Vitralls.
Pour contrebalancer ces stages très axés sur la technique, Claire et Lucie assistent un jour par semaine YUKIKO MURATA, une artiste japonaise qui fait du verre et de la céramique. En échange, elle leur offre des cours de développement de méthodes de créativité.