Publié le 11 septembre 2024

Une journée d’étude qui questionne le lien entre numérique et geste créatif dans le cadre du workshop «Verre et interactivité, la matière en mouvement»

La journée d’étude « Les systèmes cyberphysiques et le geste créatif dans la verrerie artistique » est organisée au Cerfav le 4 octobre 2024 dans le cadre d’une semaine dédiée aux dispositifs numériques utilisés dans la création en verre, avec le workshop « Verre et interactivité, la matière en mouvement », animé par Arnaud Kaba et Auguste Hazemann.
David Arnaud, chargé du projet [G]host au Cerfav, et Marco Saraceno (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – CETCOPRA), coordinateur du projet ME3DAX, nous en disent plus sur ce temps de réflexion et de prise de recul sur les pratiques de création en verre.

Interview ⤵

Marco, peux-tu te présenter et nous indiquer tes sujets de recherches ?

Marco : Je suis maître de conférences en socio-anthropologie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et chercheur au CETCOPRA (Centre d’étude des techniques, des connaissances et des pratiques). Je coordonne un projet de recherche : ME3DAX pour « Métrologie, 3D, Axiologie ». Ce projet se propose d’étudier l’émergence, au cours de ces dernières années, de l’idée de se servir des instruments numériques pour capter et enregistrer les gestes. Dans cette perspective, le projet compare les conditions de possibilité de cette captation de gestes experts dans différents secteurs d’activités : l’artisanat (en lien avec le Cerfav), le sport (la gymnastique notamment) et la robotique industrielle.

L’objectif est de répertorier tous les processus organisationnels et de discussion entre les parties prenantes (ingénieurs, experts du geste, informaticiens…) autour de la manière d’arriver à produire une captation pertinente.

David, en tant que chargé du projet [G]host au Cerfav, peux-tu nous expliquer les orientations prises pour 2024-2025 et l’orientation vers les sciences sociales qui viennent compléter les expérimentations déjà réalisées depuis 2019 ?

David : Après plus de 6 années d’existence du projet [G]host et de nombreux projets menés dans la thématique de numérisation du patrimoine culturel immatériel verrier, je peux dire aujourd’hui qu’il y a une prise de conscience de l’impact de ces technologies dans la pratique et la création artisanale.
C’est presque la fin d’une illusion, mais c’est aussi le début d’une plus grande maturité, voire responsabilité. Cette meilleure connaissance des thématiques de sociologie ou d’anthropologie qu’ont pu apporter les 2 dernières années d’échanges que j’ai eus avec Marco, mais aussi Martine Cotten (doctorante dans le projet ME3DAX), remettent des actions et projets très conceptuels dans le contexte du réel. La transmission intergénérationnelle est aussi mieux comprise. Je trouve que c’est très sain de développer des liens avec les sciences sociales. Pour 2024-2025, j’aimerais multiplier les expériences qui aboutissent à ces questionnements autour des dispositifs techniques numériques.

L’objectif de la journée d’étude « les systèmes cyberphysiques et le geste créatif dans la verrerie artistique » a pour thématique les rapports des outils numériques, de l’interactivité, avec le geste artisanal considéré comme bien patrimonial et acte de création. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Marco : Nous souhaitons faire dialoguer des chercheurs en sciences humaines et sociales spécialistes des rapports entre gestes, création et technologies, avec des professionnels qui utilisent de façon générale des instruments informatiques, capteurs, etc., dans le cadre de la création verrière. 

Nous avons voulu en particulier conduire ces intervenants à réfléchir à 2 utilisations différentes de ces instruments : 

  • enregistrer un geste dans un but de conservation patrimoniale, d’information et de communication – comme dans le cas du projet [G]host du Cerfav ;
  • intégrer des capteurs dans des objets pour construire un art interactif – ici les capteurs contribuent à la création – comme un designer, un artiste peut en avoir l’utilité.

En effet, à partir de ces deux usages différents, des questions convergentes émergent : comment cet objet technique qu’est le capteur participe-t-il à la création artistique ? L’objet produit reste-t-il le même ? Est-ce que ces dispositifs cyberphysiques transforment l’activité artisanale ?

David : De mon côté, j’ai plutôt une posture de facilitateur dans le cadre de mes missions au Cerfav. Au gré de mes échanges avec Marco, mais aussi avec les animateurs du workshop « Verre et interactivité, la matière en mouvement » – Auguste Hazemann et Arnaud Kaba – j’ai pu approfondir ces questions. Nous avons des préoccupations communes, et ce moment d’échange est là pour les formaliser et permettre de faire lien entre étudiants et chercheurs. 

Cette journée d’étude placée en fin de semaine au terme du workshop permettra aux élèves « créateur verrier » du Cerfav d’aborder le sujet des systèmes cyberphysiques et du geste créatif. Ils vont apporter un objet en verre, le mettre en relation avec un geste technique qu’ils trouvent dans leur pratique (verre soufflé à la canne, vitrail, pâte de verre) et y apporter une composante interactive en passant par les outils numériques (capteur, carte arduino, numérique, etc.)

Comment peut-on aborder aujourd’hui le sujet du numérique qui revêt des représentations qui semblent peu en accord avec l’idée d’un savoir-faire traditionnel, et la pratique de gestes transmis de façon « empirique » et « sensible » ?

Marco : L’un des enjeux de la journée est que dans les deux cas d’utilisation des capteurs abordés (numérisation d’un geste ou interactivité), on retrouve un questionnement concernant l’interaction entre le numérique – c’est-à-dire ces dimensions du réel traduites dans l’espace digital – et l’activité matérielle. 

Dans le cas de [G]host, c’est évident, on a un geste d’intervention direct sur la matière qui va être traduit numériquement pour faire en sorte qu’il y ait un apprentissage immersif. Il y a un aller-retour entre le virtuel et le réel, entre le physique et le cyber.

Dans le cas de l’art interactif, on trouve le même écho : la création d’un objet tangible réel en verre se transforme par l’intégration d’un capteur. Celui-ci permet un type d’interaction avec le spectateur, un aller-retour entre lui et le créateur. 

Une nouvelle fois on a cet aller-retour entre la matière qui se transforme, se numérise, et le réel.

Dans la journée, on parlera d’ailleurs plutôt de la matérialité du geste, plus que de son caractère « traditionnel ». Par l’intégration du numérique, il n’y a pas de disparition de la matérialité du geste, mais une transformation de cette matérialité.

David :  Il serait intéressant de poser cette question aux étudiants et chercheurs durant la journée d’étude et après leur pratique en workshop. De mon point de vue, et suivant les expériences que j’ai réalisées avec les technologies de modelage immersif avec les apprentis du Cerfav, je peux dire qu’il faut provoquer l’engagement du créateur dans un projet.

 Si l’outil lui permet de tester, de créer d’une nouvelle manière et si ça sert son propos, dans beaucoup de cas alors les représentations changent. Finalement j’ai assez rarement rencontré quelqu’un qui, dans ce contexte, refusait d’expérimenter en mettant en avant ou en opposition le fait qu’il ou elle était dans une pratique traditionnelle. Par contre, il arrive souvent que la promesse technologique ne soit pas à la hauteur du discours prescrit en amont. Et là effectivement on observe un manque d’adhésion et une déception.

Marco : Ce ne sont pas des solutions techniques, mais simplement des outils qu’il s’agit d’expérimenter. On ne sait pas exactement à quoi ça sert. Ça transforme quelque chose. On peut réfléchir à ces technologies comme des éléments d’une expérimentation.

Doit-on se poser la question de l’utilité de ces dispositifs ?

Marco : Ce n’est pas l’objectif pour le moment. Le digital n’est jamais une fin en soi. Il va toujours avoir un impact matériel. Ça nous questionne sur ce qu’on veut produire donc sur l’efficacité du geste que l’on déploie.

L’objectif d’efficacité, puisqu’il émerge dans l’expérimentation, c’est aux verriers eux-mêmes de le trouver. La question de l’efficacité est centrale pour eux.

David : Les intervenants viennent avec un objet, mais aussi avec une considération du geste. Pour explorer une piste qui ne soit pas forcément utilitariste (comme le précise d’ailleurs Auguste H. dans le programme de son Workshop). Aujourd’hui, ce qu’on attendra de la journée d’étude et du travail des étudiants, c’est qu’on puisse leur poser cette question à eux.

Est-il nécessaire de décaler nos regards sur ces procédés qui à la fois mettent particulièrement en valeur les gestes et semblent « automatiser » des pratiques manuelles ?

Marco : J’ai plutôt une position de chercheur sur ce point. Il y a une tentation parfois, dans la présentation de ces instruments, d’osciller entre un aspect hyper positif (en lien avec la transmission, le patrimoine) et un aspect négatif, dystopique (l’automatisation qui ferait disparaître l’Homme). L’objectif est d’éviter ces deux écueils. 

Le terme même d’automatisation est à repenser. Elle est souvent présentée, dans le discours sur le travail, comme quelque chose qui détériore les conditions d’exercice. On peut pourtant y porter un regard neutre. C’est un processus naturel. La question concerne plutôt son impact sur les communautés. Que veulent-elles ?

Des tâches dévalorisées vont être automatisées, alors que des tâches très valorisées ne vont pas l’être même si c’est réalisable. La question à se poser est de savoir qui veut automatiser quoi, et pourquoi ?

Le regard des sciences sociales est dans cette perspective particulièrement pertinent, car il peut montrer ces configurations d’intérêt.
David : C’est plutôt l’acte créatif qui va guider l’accès vers la question numérique. Il est fort probable qu’un créateur, s’il n’est pas trop poussé par des logiques internes financières ou de représentation sociale, va être porté par sa curiosité à considérer l’outil numérique dans sa création à un moment donné. Et ce même s’il en est déçu par la suite. Ce que je trouve important, c’est d’en parler et de montrer des voies différentes, notamment avec ce workshop et cette journée d’étude.


    La journée d’étude « les systèmes cyberphysiques et le geste créatif dans la verrerie artistique » est organisée par le Cerfav, le CETCOPRA et l’Université de Reims, le 4 octobre de 9h à 17h, au Cerfav à Vannes-le-Châtel.

    Les intervenants :

    • Marco Saraceno –maître de conférence en socio-anthropologie (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/ CETCOPRA )
    • Auguste Hazemann – designer
    • Arnaud Kaba – maître de conférences en anthropologie (Université Paris 8 / ALTER)
    • Arnaud Dubois – chercheur en socio-anthropologie (Université Paris Cité/DivEC, CNRS)
    • Michel Paysant – artiste plasticien
    • Catherine Schwartz – doctorante en sciences des matériaux (École des Mines de Saint-Étienne)
    • Martine Cotten – doctorante en sociologie des techniques (Université Reims Champagne-Ardenne)
    • Aline Paintendre – maîtresse de conférences (UFR STAPS, Université Reims Champagne-Ardenne)

    La journée d’études n’est pas ouverte aux publics extérieurs. Nous vous donnons rendez-vous sur cerfav.fr et idverre.info pour un retour sur cette journée et le suivi des échanges avec les élèves « créateur verrier » du Cerfav.

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